Paul Renson: "Pour la première fois de ma carrière, je ne me sens pas à l'aise"
Si ces propos peuvent paraître sinistres, telle ne sera cependant pas la teneur de cette interview. Comme chez tout bon entrepreneur qui se respecte, les paroles de Paul débordent de positivité et d'opportunités. Il ne pense pas en termes d'obstacles, mais d'opportunités. Et des opportunités, la pandémie nous en a donné. Le Corona l'a également réveillé.
"Nous devons redevenir des ‘gens d'extérieur’", affirme-t-il. Paul prend cela à cœur: une heure avant notre rendez-vous, il nous a été demandé par téléphone de ne pas nous rendre à la salle de réunions réservée, mais dans un autre endroit. Et nous ne nous en plaindrons nullement. À notre arrivée, nous étions attendus dans un chalet idyllique en zone boisée, dissimulé à l'arrière du zoning industriel de Waregem. Dans le jardin, une toiture de terrasse allait nous permettre de profiter en tout confort de ce soleil du début de printemps en bordure d’un plan d’eau apaisant. Même le frileux notoire qu’est votre rédacteur a trouvé la température agréable. Et si j'avais eu froid, un système de chauffage sobrement et discrètement intégré aurait rapidement pu y remédier. Lançons la conversation.
Le relais s’est déjà transmis de père en fils à quatre reprises. Pouvez-vous ébaucher l'historique de Renson en quelques mots?
"Mon arrière-grand-père Polidore Renson a fondé l'entreprise familiale en 1909. Il produisait des poignées de fenêtre et des ferrures de porte, d'abord en acier, puis en aluminium. Mon père Jan a commencé à se concentrer davantage sur les grilles de ventilation et les pare-soleil en toile. Ainsi a germé l’entreprise Renson telle que nous la connaissons aujourd'hui. En 1982, c'était mon tour. L’entreprise de production étant déjà bien installée, j'ai résolument décidé de jouer la carte des ventes et du marketing. Avec une vision claire au niveau des espaces intérieurs et extérieurs sains a entre-temps été lancé le slogan désormais bien connu ‘Creating Healthy Spaces’. Parallèlement, nous avons lancé la gamme d’outdoor living, car nous voulons inciter les gens à passer plus de temps à l'extérieur."
Vous affirmez régulièrement que ‘There is no speed limit on innovation’. Pourquoi accordez-vous tant d'importance à l'innovation?
"Il s’agit du moyen par excellence pour se différencier de ses concurrents. Si vous ne pouvez pas proposer des produits ou services innovants, il ne reste que le prix pour se démarquer, une situation malsaine. Sur nos 1.200 collaborateurs, 110 sont actifs dans le département R&D. Et nous ne disposons même pas de la capacité suffisante pour développer toutes nos idées. L'innovation nous permet de rester un leader dans notre secteur."
Comment innovez-vous de nos jours?
"Je crois de plus en plus en l'importance de la conception et de la collaboration entre les designers et les collègues disposant d’un bagage technique. Le design permet d'élever un produit purement fonctionnel à un niveau supérieur. Les éléments techniques étant dissimulés et tout étant harmonisé, l'ensemble présente un aspect visuellement plus apaisant. Ce qui se traduit par une sensation d’harmonie et de zénitude, un domaine dans lequel le Japon est très avancé. ‘Less is more’, ou la force du ‘minimalisme chaleureux’, comme j'aime à appeler cela."
Ce principe, l'entreprise l’applique également dans sa propre gamme de produits. "L’incorporation invisible des techniques et l’intégration parfaite des produits dans l’intérieur ou la façade constituent tout un art: des aérateurs de fenêtre aux encadrements de porte intérieure et charnières en passant par les protections solaires. Le fait d’avoir décroché l’Henry van de Velde Company Award cette année démontre, pour moi, que nous sommes sur la bonne voie.
"Outre le design, la facilité d'installation représente également une de nos priorités. Nous employons de nombreux collaborateurs ayant eux-mêmes travaillé dans la menuiserie, et qui savent donc où se situent les points délicats. Nous voulons que l’homme de métier puisse installer nos produits le plus rapidement et facilement possible, et nous nous déplaçons pour venir en aide à nos monteurs sur chantier. C'est là aussi une forme d'innovation: envoyer des hommes de métier en formation n'est pas évident. Chez nous, c’est la formation qui vient à eux."
Quelles sont les tendances qui se dessinent?
"Collaborer et proposer des concepts globaux devient toujours plus important. Lorsque plusieurs marques fortes collaborent, cela génère une interaction qui élève le niveau de chaque entreprise. Le tout est alors plus que la somme de ses parties. C'est pourquoi le centre d'expérience NOA Outdoor Living ouvrira ses portes plus tard dans l'année (en octobre, ndlr.), un centre d'expérience où 24 fournisseurs de produits d'extérieur s’associeront pour proposer une sorte de ‘salon permanent’, et où les visiteurs tant professionnels que privés pourront se plonger dans des jardins avec des toitures de terrasse, des cuisines d’extérieur, des piscines, des idées de wellness, des solutions d’éclairages, du mobilier et des accessoires dans divers styles."
"Nous fournissons aussi énormément d’efforts en matière de R&D au niveau de la connectivité. À terme, nos produits feront partie d'un système vivant. En connectant tout et en suivant tout en permanence, le réglage de la ventilation et des protections solaires, par exemple, s’effectuera automatiquement, en fonction des besoins du bâtiment et à tout moment."
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Comment l’homme de métier, ancré au quotidien dans la pratique, peut-il être innovant dans ce qu'il propose?
Bien que sirotant pensivement son thé, Paul n'a cependant pas vraiment besoin de réfléchir longtemps à une réponse. "Il y a déjà un certain nombre de constructeurs qui, outre des fenêtres et des portes, ajoutent également ‘l’outdoor living’ à leur offre", lance-t-il. "Parce qu'ils se rendent compte que cela leur permet de se démarquer de leurs concurrents. Selon moi, le menuisier doit penser davantage en termes de concepts globaux. Et donc non seulement concevoir et installer des constructions de jardin, par exemple, mais aussi prévoir la décoration et le mobilier. Proposer non seulement les fenêtres et les portes en aluminium, mais aussi le revêtement de façade, les protections solaires et la toiture de terrasse dans le même matériau. Ce faisant, vous ne vendez pas seulement un ou plusieurs produits, mais bien une solution. C'est ce que les gens veulent aujourd'hui, être déchargés. Ils se voient proposer un ensemble totalement harmonisé et vous réalisez un chiffre d'affaires plus élevé avec un seul et même client. Tout le monde y gagne."
Vous accordez une grande importance à l'ancrage local, mais l’on constate une grave pénurie de main-d'œuvre. Comment vous en accommodez-vous?
"C'est vrai. C'est en partie pour cette raison que nous avons énormément investi dans l'automatisation ces dernières années. Notre nouvelle ligne de production de produits outdoor située le long de l'E17 à De Prijkels constitue le nec plus ultra dans ce domaine.
"D'autre part, même dans un environnement de production contrôlé de façon numérique, vous avez encore et toujours besoin des meilleurs collaborateurs pour pouvoir fournir du sur-mesure de qualité. Nous mettons tout en œuvre afin que nos collaborateurs se sentent bien chez nous. Ils doivent pratiquement bénéficier d’un plus grand confort sur le lieu de travail qu'à la maison. Et nous sommes constamment à la recherche de nouveaux talents. C'est écrit en grand sur notre bâtiment, dans tous les journaux et même sur des sachets de pain: ‘We have jobs’."
Mais ce n'est pas tout, comme nous l'ont appris les initiatives suivantes. "Chez Renson, nous formons des jeunes par le biais de la formation en alternance et nous avons également réussi à inciter d'anciens collaborateurs partis à la prépension à continuer à travailler chez nous un peu plus longtemps. À côté de cela, nous lorgnons au-delà de nos frontières; une vingtaine de nationalités travaillent ainsi chez nous. Le VDAB – l’équivalent flamand du Forem – vient bien en aide aux allophones. Ceux-ci reçoivent la formation nécessaire et nous fournissons les instructions dans leur propre langue afin que la sécurité soit toujours garantie. Nous collaborons également avec un atelier protégé et accueillons ces personnes comme si elles travaillaient directement pour nous. Elles sont également les bienvenues à la fête annuelle de Saint-Nicolas et à la réception du Nouvel An. De nos jours, celui qui veut attirer des gens se doit d’être inventif et doit continuer à solliciter son association sectorielle."
Il y a d’abord eu la pandémie, puis la crise économique et, maintenant, la guerre fait rage pas loin de chez nous. Quel impact cela a-t-il sur votre entreprise?
"Cela provoque des ondes de choc. Durant la pandémie, nous avons connu une forte croissance. Les gens ont investi dans leur propre maison et notre jardin l’argent qu’ils ne dépensaient plus en voyages ou en restaurants. Aujourd'hui, les pénuries de matériaux, les hausses de prix et la guerre entraînent beaucoup d'incertitude et, pour la première fois dans ma carrière, je ne me sens vraiment pas à l'aise. L'incertitude est extrêmement néfaste pour l'économie: les gens commencent à épargner au lieu de dépenser. Lorsqu'une plus grande partie de vos revenus est consacrée à des dépenses nécessaires comme l'énergie et le remboursement de votre maison, vous remettez alors à plus tard l'investissement dans un produit de luxe comme les toitures de terrasse."
"Le fait d’être présent dans le monde entier et de disposer d'une société solide constitue aujourd'hui un gros atout. Nous pouvons nous adapter. Renson existe de longue date et a déjà connu des crises majeures. ‘Poursuivre tout simplement’, telle était la devise à l'époque, en sachant qu'après une crise, nous serions plus forts qu'avant. Mais je n'ai jamais vécu une situation comme aujourd’hui. Nous comptons maintenir notre vision à long terme et continuer à investir dans l'IT, la R&D ainsi que dans la présence chez nos distributeurs afin de, espérons-le, sortir à nouveau plus forts de cette crise. Mais c'est et cela reste une situation avec laquelle je ne suis pas à l'aise."
Un autre défi à plus long terme consiste à passer à un mode de vie et de construction plus durable. Quelle est votre position à ce sujet?
"Je crois énormément en la durabilité et je pense que nous pourrons déjà faire une grande différence en utilisant plus intelligemment ce que la nature nous donne. Dans notre propre siège principal, nous disposons de très grandes baies vitrées, mais pas de la climatisation. Nous gardons la température sous contrôle en ouvrant toutes les fenêtres la nuit quand il fait frais. En journée, les stores protègent de la chaleur et de la lumière indésirable. Je suis partisan de bâtiments qui s'adaptent à la nature. Je crois aussi que la nature peut nous guérir. Nous devrions passer beaucoup plus de temps dans la nature, non seulement pour les loisirs, mais aussi pour y travailler et y vivre. Qu'y a-t-il de plus agréable que de se réveiller dans une forêt? Je rêve de villes plus vertes, de maisons et d'appartements où l'intérieur et l'extérieur se fondent l’un dans l’autre afin d’être entouré par la nature chaque jour de l'année."
Qu’est-ce qui peut vous empêcher de dormir?
Un sourire apparaît sur le visage de Paul. Sa réponse trahit l'impression détendue qu'il donne. "En fait, je dors très bien la nuit, la nuit sert à récupérer. Je sais aujourd’hui bien relativiser, ce que je considère comme un véritable don. Le perfectionnisme est épuisant, savez-vous. Le perfectionniste se focalise trop sur tout ce qui peut aller de travers. La plupart du temps, les choses ne se passent pas du tout mal et lorsque cela arrive, pratiquement personne ne le remarque. Avant de s'en rendre compte, on est au pied du mur."
"On peut apprendre à relativiser, mais c'est plus facile à dire qu'à faire, je le sais. Tout n’a pas été évident pour moi non plus, mais une crise personnelle m'a appris ce qui était vraiment important et depuis lors, peu de choses me posent véritablement problème. Je suis beaucoup plus heureux maintenant qu’avant. Quand j'avais un problème, mon père me conseillait de dormir dessus une nuit. En général, vous y voyez alors plus clair le lendemain. Cela fait peut-être cliché, mais c'est la vérité.
Qu'est-ce qui vous rend heureux?
"La capacité d'entreprendre de la jeune génération. À mon époque, il fallait investir dans une usine et des machines avant de pouvoir se lancer, mais aujourd'hui, n'importe quel jeune possédant un ordinateur peut devenir un entrepreneur créatif. Dommage que tout ce talent file sous notre nez, mais je trouve quand même fantastique de voir ce qu'ils font. J'ai également encouragé mes enfants à aiguiser leur esprit d'entreprise en les laissant d’abord créer eux-mêmes quelque chose avant de rejoindre l'entreprise. Ils s'endorment avec, se réveillent avec et se lèvent avec, mais c'est un bon apprentissage."
Quelle a été votre plus grande leçon de vie jusqu'à présent?
Paul nous fait rire avec un proverbe que nous n’avions jamais entendu. "Un corbeau qui vole attrapera plus de proies qu’un corbeau assis." Ce qu'il veut dire, c'est qu'il est important de sortir de chez soi et d'élargir ses horizons, en voyageant ou en visitant des salons.
"Le Corona a une fois de plus montré combien il est important de pouvoir échanger ses opinions. Il n'est pas toujours nécessaire de réinventer l'eau chaude pour innover. Parfois, les bonnes idées sont déjà là, toutes prêtes, et vous les trouvez en discutant avec votre groupe cible sur les salons ou à d'autres occasions. Poser constamment des questions, écouter attentivement et imaginer des solutions fait partie de notre ADN. Une bonne chose d’ailleurs, car c’est en fin de compte toujours le marché qui décide. Pour moi, tous ceux qui travaillent ici peuvent aller à Polyclose, par exemple. Un super salon si proche de chez nous s’avère l'occasion idéale pour se faire une idée des besoins du marché."
Pouvez-vous nous citer un tournant important dans votre vie?
"Sur le plan professionnel ou personnel ?", demande Paul. Les deux, si vous voulez. "Eh bien, quand j'ai commencé, l’entreprise traversait une période difficile. Il y avait trop d'actionnaires et leurs visions étaient diamétralement opposées. Il n'est pas facile d'être seul à la tête d'une entreprise, mais la situation n'était pas viable. Si vous n’arrivez pas à trouver un terrain d’entente et continuez à débattre, votre entreprise stagnera. Une scission a ramené la sérénité et m'a permis de me concentrer à nouveau pleinement sur la croissance de l'entreprise. Dans notre cas, un seul capitaine par navire s’est avéré le bon choix."
A nouveau, le visage de Paul se fend d’un large sourire. "Le plus beau tournant personnel sera double. Je viens de devenir grand-père pour la première fois, et je vais même bientôt le devenir pour une deuxième fois!"
Avez-vous fait des mauvais choix de par le passé? Ou mieux: qu'auriez-vous fait différemment si vous pouviez tout recommencer?
"J'aurais dû m'entourer des meilleures personnes plus rapidement. Pendant longtemps, j'ai voulu tout faire moi-même, mais je suis avant tout un entrepreneur et beaucoup moins un manager. Aujourd'hui, j’ai su m’entourer des meilleures personnes. Tout l’art consiste à savoir ce que vous savez faire correctement et ce qu’il est préférable de déléguer. Ce n'est que lorsqu’on sait cela, qu’on peut grandir. Si, en tant que menuisier, vous êtes surtout bon au niveau de la fabrication, recrutez alors un directeur des ventes. Si vous êtes plutôt un vendeur né, il sera alors préférable de déléguer partiellement la production. Faites ce que vous aimez faire et ce qui vous donne de l'énergie, et osez vous séparer de ce qui vous convient moins."
Le déjeuner de Paul l'attend, mais il veut encore nous dire quelques mots. "Continuez à collaborer et à travailler ensemble, c'est ce en quoi je crois le plus: la force des gens qui réalisent des choses ensemble. Pensez en termes de concepts globaux, c'est ainsi que vous pourrez vous démarquer des autres acteurs."
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