Mourir ou grandir? Entreprendre en temps de crise avec Philippe Bailleur
Nous espérons que la situation sera un peu plus rose lorsque vous lirez cet article, mais lors de sa rédaction, toute prédiction était encore impossible. La crise du coronavirus a paralysé l'économie et le monde des entreprises pendant un certain temps. De nombreux menuisiers prévoient une forte baisse de leur chiffre d'affaires. De nombreux entrepreneurs sont aux abois. Cependant, il est également possible d’utiliser une crise de cet ordre pour inviter au changement et au renouveau.
Grandir représente toutefois un solide défi lorsque vous voulez combler un déficit financier et faire face à la peur et à l'incertitude. "Les entrepreneurs représentent un maillon important de notre société. J'espère donc qu'ils recevront tout le soutien nécessaire pour qu'ils puissent se redresser. Il y a de fortes chances que le seul soutien financier ne suffise pas", déclare Philippe.
Osez investir dans votre développement
Après sa formation à l’École Royale Militaire, Philippe Bailleur a rejoint l’armée belge. Sa carrière a pris une tournure imprévue lorsqu'il a été confronté en 1996 à un accident d'avion dans lequel certains de ses collègues ont perdu la vie. Il a été fasciné par l’impact de tels événements aussi graves sur les personnes et les organisations. Depuis lors, il suit continuellement des formations complémentaires sur des thèmes tels que la communication, le leadership, la dynamique de groupe, le travail d'équipe ainsi que l'épanouissement personnel et assiste avec enthousiasme les organisations, les groupes et les individus.
"Par rapport à il y a 10 ou 15 ans, notre monde change aujourd’hui très rapidement. Si vous ne permettez pas à votre organisation ni à vos collaborateurs de suivre, vous vous retrouvez bloqué tôt ou tard. Je rencontre de nombreux chefs d'entreprise qui sont de très bons experts ou hommes de métier. Ils sont très habiles pour fabriquer leurs produits, mais ne disposent pas pour autant des aptitudes nécessaires pour gérer les gens ou les changements. Ceux-ci sont beaucoup moins prévisibles et contrôlables. Je fais alors temporairement office d’une sorte de ‘béquille’ sur laquelle le dirigeant peut s'appuyer tout en continuant à développer les compétences nécessaires."
L’union fait la force
"De nombreux entrepreneurs sont aujourd'hui confrontés à la peur et à la tristesse", déclare Philippe. "C'est logique quand on a créé une entreprise et qu'on la voit presque vous glisser entre les doigts comme du sable. Nous n’avons pas été formés pour gérer de telles situations. Nous savons tous que les risques font partie intégrante de l’entrepreneuriat, mais cette réalité devient aujourd'hui douloureusement évidente. Certains luttent par leurs propres moyens, mais d'autres auront plus de mal à reprendre le fil."
Nous en ressentons très clairement les conséquences financières, mais, selon Philippe, il ne faut pas non plus en sous-estimer l'impact psychologique ni émotionnel.
"Les compensations financières sont une bonne chose et sont importantes, mais s'il y a aussi une blessure psycho-émotionnelle, ce ne sera qu'un emplâtre sur une jambe de bois. Il faut s’attaquer à cette blessure pour pouvoir à nouveau entreprendre solidement. Soulagez votre cœur auprès de vos amis ou de votre famille ou consultez un expert si nécessaire. Le besoin de soutien est tout à fait normal et humain. Pourtant, je constate que beaucoup d'entrepreneurs attendent trop longtemps avant de faire le pas, et c'est dommage car cela peut bloquer votre esprit d'entreprise pendant des années."
Frappez à la porte de votre association sectorielle
Philippe espère que la pénurie va déclencher une vague de solidarité chez les entrepreneurs. "J'espère qu'ils se retrouveront et se soutiendront mutuellement. Les associations professionnelles ont également un rôle important à jouer dans ce domaine. De nombreux entrepreneurs sont confrontés à des thèmes similaires, mais tous ne sont pas en mesure de faire appel individuellement aux spécialistes nécessaires. Ce que peut par contre faire une fédération, de telle sorte que tous ses membres en profiteront. Pour moi, ce sont des moments où il faut vraiment être là en tant que fédération. Il faut également oser défendre les intérêts de ses membres dans le débat politique."
Faites de la place pour vos émotions
Peut-être ressentez-vous une peur récurrente ou d'autres grosses émotions. Reconnaître et admettre que vous avez encouru une blessure qui continue à exiger de l'attention n'est pas simple. Vous pouvez facilement vous laisser distraire par l'ordre du jour et continuer ainsi pendant longtemps. Montrer sa fragilité requiert du courage. C'est totalement en contradiction avec ce que nous avons appris, à savoir de rester forts. Pourtant, il importe maintenant de prendre du temps à cet effet.
"Lorsque les gens viennent me voir pour aborder tel ou tel problème, nous mettons souvent le doigt, après plusieurs discussions, sur un événement douloureux du passé qui est encore présent dans leur système. La meilleure chose à faire dans les semaines et les mois à venir est donc d'essayer de découvrir si vous avez encore quelque chose qui vous freine inconsciemment dans votre activité d'entreprendre. Supposons, par exemple, que vous veuillez engager quelqu'un et vous remarquez que vous ne cessez de reporter l’échéance. Les éléments suivants pourraient alors jouer un rôle."
"Peut-être que pendant la crise, vous avez dû vous défaire de quelqu'un que vous aviez engagé avec beaucoup d'enthousiasme. Cela vous a particulièrement touché et vous ne voulez pas revivre cela. Vous ne voulez pas recréer cette douleur. Pour éviter cela – certes inconsciemment – vous jouez la sécurité en reportant le recrutement. Une telle réaction indique que vous portez encore inconsciemment un poids qui vous freine. Il peut aussi s'agir de choses auxquelles vous pensez souvent, dont vous rêvez ou qui vous inquiètent. Vous avez peut-être reçu de nombreux appels téléphoniques de clients qui ont annulé leur commande et, encore maintenant, votre estomac se noue à chaque fois que le téléphone sonne. Accordez-y l’attention nécessaire afin de pouvoir recommencer à entreprendre solidement."
Ne vous laissez pas guider par la peur
"Chaque personne est créative et entreprenante par nature. Nous ne devons pas l'apprendre et nous ne devons rien faire à cet effet. Ces qualités sont là, mais quand vous luttez contre la peur, le stress et les incertitudes, elles sont pour ainsi dire recouvertes par une grosse chape de plomb. Il importe donc de trouver un moyen d’apaiser votre esprit afin que la créativité et la confiance reviennent."
Comment faire précisément? "La méditation constitue la méthode la plus ancienne et la plus éprouvée, mais ceux qui entreprennent ont parfois du mal à rester immobiles. Vous pourrez également ressentir cette sensation en faisant du ski, de l’escalade ou du vélo. Trouvez une activité qui vous permet de vous vider l’esprit un instant et de retrouver la paix intérieure. Revenir à cela en temps de crises comme celle-ci constitue le meilleur cadeau que vous puissiez vous faire – à vous et à votre entreprise. Vous devez vous-même en faire une priorité, personne ne viendra vous le servir sur un plateau. On peut comparer cela au sciage d'une grume de bois. Si vous essayez de scier une grume avec une lame de scie émoussée, ce sera très dur et prendra beaucoup de temps. Si vous prenez d'abord le temps d'affûter la lame de la scie, cela se passera beaucoup mieux. C’est comme cela que vous devez aussi vous occuper de vous-même. Sinon, avec le temps, vous travaillerez très dur, mais de façon peu efficace.
Différentes casseroles sur le feu
On note depuis déjà des années une tendance à la spécialisation, mais en temps de crise, il sera peut-être tentant de se diversifier à nouveau et d'accepter tous les chantiers possibles.
"En tant qu'entrepreneur, vous devez de toute façon être flexible et faire en sorte d'avoir différentes casseroles sur le feu. Cela pourra cependant aussi très bien se faire dans un créneau déterminé. Veillez à avoir des échappatoires, d'autres directions à emprunter lorsque quelque chose ne fonctionne plus. Que faites-vous correctement? Qu'est-ce que vous aimez faire? Avec quoi pouvez-vous faire la différence? N’observez pas trop votre concurrent, il s’agit d’un gros piège et cela a un effet paralysant. Cherchez les réponses à ces questions en vous. Si vous trouvez cela difficile, c’est que vous avez peut-être encore trop de peurs et d’incertitudes. C’est d’abord sur cela qu’il faut travailler."
Professionnalisez votre entreprise
Comment consolider sa position financière après cette crise? "Vous devez professionnaliser votre organisation pour maintenir votre marge et donc votre entreprise à flot dans un monde concurrentiel", déclare Philippe.
"Placez votre énergie dans un travail qui créera de la valeur pour votre client, car c'est le travail pour lequel il vous paiera. On consacre souvent énormément de temps à des tâches qui n'apportent aucune valeur ajoutée, comme par exemple tourner en rond et téléphoner inutilement. Fournir un bon produit ne suffit également plus. La manière dont votre client a vécu l'interaction s’avère au moins aussi importante. Veillez à ce que le client puisse suivre le processus. Par exemple, envoyez-lui régulièrement un petit message avec l'état d’avancement et le timing. Veillez à ce qu'il ne doive pas vous appeler à répétition pour obtenir cette information, mais anticipez ses appels. Le besoin d'informations est devenu la nouvelle norme en raison de l’e-commerce. Le client sera frustré s’il doit demander lui-même ces informations; cela écornera la relation de confiance et votre crédibilité. Les bons collaborateurs sont rares. Veillez à les utiliser précisément là où ils pourront vraiment faire la différence en automatisant d'autres opérations. Accordez évidemment ici suffisamment d’attention à la convivialité et à la fiabilité de vos systèmes."
Si vous voulez continuer à grandir, il vous faudra aussi, à un moment donné, prendre des distances avec les tracas quotidiens. "Je sais par expérience combien c'est difficile lorsqu’on tire une grande satisfaction du travail opérationnel. Toutefois, à un certain moment, votre entreprise doit également pouvoir tourner parfaitement sans vous. Sinon, la croissance stagnera. Pas parce qu'il n'y a pas de potentiel, mais parce que vous ne vous concentrez pas sur les activités qui font grandir votre entreprise."
Allez vers davantage de connexion
Un monde complexe, qui en outre change rapidement, nécessite selon Philippe une plus grande harmonisation entre les personnes, les équipes et les départements.
"Lorsqu’il faut intervenir rapidement, cela requiert davantage de concertation. Que faut-il faire à quel moment? Comment et pourquoi? Une brève harmonisation chaque matin ne sera pas du luxe. Cela pourra parfaitement se faire de façon digitale lorsque les gens partent de chez eux pour aller chez les clients ou sur chantier. En libérant délibérément du temps à cet effet, vous construirez aussi une bien meilleure relation avec vos collaborateurs. Vous apprendrez à mieux les connaître. Le temps que cela vous prendra, vous le regagnerez de toute façon vu qu’il y aura moins de points à rectifier.
"Lorsque nous recrutons, nous recherchons souvent des personnes proactives et responsables. Cependant, les attirer ne suffit pas. Il faut veiller à ce que le fonctionnement de votre organisation ne tue pas ces qualités dans l'œuf", précise Philippe.
"Si vous ne vous concentrez pas sur la relation avec et entre vos collaborateurs, même les collaborateurs les plus proactifs deviendront avec le temps de simples exécutants, alors que vous les avez engagés précisément pour leur proactivité. De plus, lorsqu'il faut constamment surveiller et diriger les gens, cela mange rapidement les marges. Examinez donc comment faire en sorte que les collaborateurs proactifs se sentent valorisés et récompensés."
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